Un ami, c'est celui qui voit clair en vous, et qui continue à apprécier le spectacle. [pv Gwenn <3]

J

ane tentait de se faire à ce décor sombre de maison à moitié habitée où tout semblait porter le parfum et la marque de son absurde rivale. C'est sûr, on ne penserait pas à venir la chercher ici, mais elle n'avait jamais eu à ce point le sentiment de ne pas être à sa place, l'impression d'étouffer. Elle n'était plus prisonnière des quatre murs de cette cave qui l'avait enfermée pendant plusieurs semaines, mais elle restait captive. Captive de la volonté des Hellsing, qui plus que jamais voulaient sa peau, et n'avaient plus le moindre prétexte pour attendre le moment de s'en prendre à elle. Elle était coincée. Elle avait su depuis un bon moment que le mieux pour elle serait de tirer une croix sur son passé et de repartir de zéro, mais elle n'avait pas choisi son moment, et elle était à présent privée du moindre repère. Elle n'avait plus de maison (hors de question d'y revenir sous peine de tomber dans un piège absurde), elle n'avait plus Léo, elle n'avait sans doute plus de travail (retourner bosser pour Preston exigerait un tour de force qu'il n'était peut-être pas préférable qu'elle exécute), et elle avait encore mal de cette douleur qui l'avait rongée  à l'instant où on l'avait débarrassé de l'avorton qui grossissait dans ses entrailles. Un mal pour un bien, certes, mais elle ne s'en sentait pas mieux pour autant. Elle ne savait plus trop s'il y avait encore des branches auxquelles se raccrocher, des branches qu'elle n'aurait pas elle-même sciées. En fait si, il en restait encore une, solide et intact, qui avait survécu à tout, et avait pourtant été mise à l'épreuve plus de fois qu'il ne le faudrait. Gwenn...

Jane avait été libérée il y a quelques jours déjà, et même si retrouver sa meilleure amie avait été l'une de ses envies premières, elle n'en avait rien fait. Pas parce qu'elle n'avait pas hâte de la voir et de la rassurer, au contraire, elle ne demandait que ça. Mais elle n'avait pas voulu la mettre en danger, et on se douterait forcément qu'elle irait la voir. D'ailleurs, encore maintenant, alors qu'elle décidait de prendre le risque, elle ne l'avait pas fait sans de multiples précaution. La capuche de sa veste lui mangeait la moitié du visage tandis que, les yeux baissés, elle se dirigeait d'un pas discret jusqu'à la maison de Gwenn. Elle s'assura très attentivement de ne pas être suivi, zyeutant à droite et à gauche avant de frapper à la porte. Voyant Gwenn dans l'encadrement quand celle-ci vint lui ouvrir, elle ne prononça pas le moindre mot et se contenta de la serrer dans ses bras. Elle lui avait ignoblement manquée. Desserrant finalement l'étreinte, elle se permit d'entrer à l'intérieur pour éviter le regard d'éventuels curieux qui passeraient par là malgré l'heure tardive.

-Je suis désolée de débarquer comme ça. souffla-t-elle.

Mais elle n'avait pas pu prévenir. Trop risqué. Et elle avait déjà attendu beaucoup trop longtemps avant de la revoir pour laisser passer une nuit de plus.

J

ane appréciait plus que jamais la nouvelle étreinte que lui accorda Gwenn. Elle lui avait tellement manqué. Et l'avoir inquiétée la rendait malade. Il était peut-être présomptueux d'imaginer que Gwenn avait été au plus mal du fait de son absence, mais Jane savait dans quel état elle se serait trouvée si la situation avait été inversée, si sa meilleure amie avait été portée disparue. Ce que ça faisait du bien de la retrouver. Là, elle prenait pleinement conscience d'être de retour, et elle avait le sentiment, malgré la précarité de la situation, qui ne semblait pas prête de s'arranger, qu'elle retrouvait un semblant d'équilibre, et une raison de tenir le coup. Jane hésita quant à la réponse à donner à son interlocutrice quand elle lui demanda si elle allait bien. Elle avait envie de la rassurer, elle s'était déjà suffisamment inquiétée comme cela, mais elle avait juré de ne plus lui mentir, alors elle ne le ferait pas, simplement, elle-même avait du mal à déterminer si elle allait bien ou non. Physiquement oui... Encore que son récent avortement et les sévices subis lors de sa séquestration l'avaient affaiblie. Mais au moins, elle était en un morceau. Moralement, par contre, c'était une autre paire de manche. Si elle parvenait aisément à oublier la situation quand Edward était à proximité, la culpabilité, la douleur, le manque la rappelaient bien vite à l'ordre quand elle pensait à Léo et à tout le mal qu'elle lui avait fait subir. Elle n'avait plus rien, elle avait perdu presque tous ses repères (au final, le seul qui soit vraiment solide était sous ses yeux), et elle ne savait plus du tout où elle en était. De toute sa vie, jamais elle ne s'était sentie à ce point perdue, et à ce point vulnérable, également.

-Au moins je suis toujours en vie. finit-elle par répondre. Et il est certain que c'était la seule chance qu'elle avait dans son infortune. Ça, et celle d'avoir une meilleure amie à ce point dévouée, qui la soutenait envers et contre tout. Je suis partie du travail, et après, c'est le noir total, je me suis réveillée dans une cave obscure. Celle des Hellsing. Elle marqua une pause. Sa voix était un peu tremblante. Il lui était difficile de faire le récit de ces épreuves, elles étaient encore trop fraîches dans son esprit. Et en même temps, elle préférait tout dire directement et ainsi être débarrassée ensuite. C'est Edward et Léo qui m'ont libérée. Elle prit une grande inspiration. Léo est au courant de tout. Je te laisse imaginer qu'on n'est plus ensemble. Cette fois, c'était tout son corps qui tremblait. Maintenant, les Hellsing doivent être à ma recherche, et moi j'ai plus rien...

C'était encore pire quand on racontait tout d'un bloc. C'était la première fois qu'elle le faisait, et autant dire que ce n'était pas une partie de plaisir... mais ainsi, ce serait dit, et qui sait, peut-être qu'elles pourraient aller de l'avant.

-Tu vas bien, toi ?

C'

était sans aucun doute injuste de la part de Jane que d'affirmer qu'elle n'avait plus rien en présence, pourtant, de tout ce qui lui restait. C'est vrai, elle n'avait plus de "mari", plus de maison, une famille en vrac, plus de métier, mais elle avait l'amitié inconditionnelle de Gwenn, qui lui prouvait une fois encore combien elle lui était loyale et dévouée, comme Jane l'était pour elle. C'est vrai, elle était en train de tout perdre, mais Gwenn restait une valeur sûre, sa valeur sûre, et Jane refusait que sa meilleure amie croie le contraire. Elle avait été là pour elle, oui, Jane le voyait bien. Elle l'avait soutenue dans toutes les épreuves, accepté d'elle tous les travers, et encore maintenant, c'était elle qui savait lui apporter du réconfort alors qu'elle se sentait complètement paumée. Serrer Gwenn dans ses bras lui faisait du bien, l'entendre dire qu'elle serait toujours là pour elle lui en faisait encore plus. Elle n'aimait pas, par contre, entendre que sa meilleure amie s'était inquiétée à ce point pour elle. Elle comprenait, bien sûr, elle-même aurait été complètement morte d'inquiétude si sa meilleure amie avait disparu du jour au lendemain, sans lui laisser le moindre mot, sans rien deviner de ce qui avait exactement pu se passer. Jamais plus elle ne laisserait Gwenn s'inquiéter pour elle. Pour cette raison, elle n'avait pas le choix, il fallait qu'elle prenne sur elle et agisse au nom de sa propre sécurité avant toute autre chose. Même si ça n'allait en rien être simple, surtout si c'était pour se coltiner la présence de son âme soeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre (c'était une plaie qu'elle se serait largement épargnée). Jane songea à promettre de ne plus jamais inquiéter Gwenn à ce point, malheureusement, ce n'était pas une promesse qu'elle pouvait mentir, surtout que Jane avait les Hellsing aux trousses, Gwenn était de son avis, notre terre se porterait bien mieux sans la famille de chasseurs.

-J'confirme... si j'en ai l'occasion, j'te jure, j'en ferai un tas de cendre. Je n'aurais pas de pitié, cette fois.

Pas de pitié, tout était relatif, bien sûr, elle n'en avait pas eu pour Andrew, ce soir-là, elle n'avait contenu son pouvoir que parce qu'elle ne pouvait se résoudre à faire du mal à Léo. Du moins, plus de mal encore que celui qu'elle lui avait fait subir en lui affirmant de but en blanc qu'elle ne l'avait jamais aimé et s'était foutu de lui dès le départ, ce qui n'était pas l'entière vérité. Elle avait et aurait toujours de l'affection pour Léo... mais les Hellsing, il s'en fichait, ils pourraient bien crever la gueule ouverte que ça lui serait égal, et si c'était de son fait, alors ce serait encore mieux. Ils ne méritaient aucune clémence. Et pas plus de compassion.

A

voir le soutien inconditionnel de Gwenn importait beaucoup pour la jeune femme, elle n'avait plus beaucoup de certitudes, mais elle avait au moins celle-ci, elle pouvait et elle pourrait toujours compter sur sa meilleure amie. C'était le genre de certitudes dont elle avait besoin pour parvenir à aller de l'avant (si cela était véritablement possible), et Gwenn le lui témoignait. Oh, Jane comptait bien laisser Gwenn l'aider à mettre fin à la tyrannie des Hellsing. Ce n'était pas qu'une question de pure et simple vengeance (quoique si, un peu, quand même), c'était une question d'honneur, et de sécurité pour toutes les créatures qui étaient déjà tombées sous leurs coups, ou risquaient de subir ce sort un jour. Oui, c'était une vengeance, mais une vengeance nécessaire. Quoique Jane la reléguait au second plan pour le moment. Sa vie était en train de prendre un tournant complètement incontrôlable, tout était à revoir dans son existence, tout se mélangeait et s'embrouillait dans sa tête, et elle ne savait vraiment plus où elle en était. Jane hocha la tête quand Gwenn lui proposa un verre. Dans une situation du genre, boire un coup serait tout sauf pour lui faire du mal. Anesthésier ses pensées à grands renforts d'alcool, ça ne pourrait que lui faire un bien fou. Elle en avala une grande gorgée quand Gwenn lui posa la question fatidique, la question qui devait forcément se poser... Il lui faudrait au moins ce remontant pour savoir articuler une réponse cohérence. Qu'est-ce qu'elle comptait faire maintenant ? Si seulement elle en avait une idée précise.... tout se bousculait, tout se mélangeait dans sa tête.

-Je sais pas trop. finit-elle par répondre... Je ne peux plus vivre comme avant. Et je veux plus faire les mêmes erreurs. Elle pensait surtout à Léo, elle n'avait pas voulu que leur rupture se passe de cette manière, mais la rupture en elle-même avait bien sûr était tout simplement inévitable. Et plus jamais elle ne tolèrerait de faire souffrir quelqu'un comme elle l'avait fait souffrir lui (à part les Hellsing, peut-être), elle ne referait plus jamais sa connerie. Elle le savait, il était temps qu'elle assume ses choix et ses sentiments. C'était plus facile à dire qu'à faire, c'est clair. Pour l'instant, je vais vivre chez... enfin, dans une maison qui sert de labo à Enjolras. Rien qu'à prononcer le nom de la jeune femme, Jane grimaça, elle détestait cette situation, mais elle n'avait pas le choix. Les Hellsing penseront pas à me chercher là-bas... enfin j'espère. Elle poussa un léger soupir. Je dois remettre de l'ordre dans ma vie, c'est juste difficile de savoir par où commencer. Elle avait tout perdu en une nuit, difficile de savoir comment résoudre cette situation. Et il faut que je sois au clair avec mes sentiments. Elle marqua une pause, baissa doucement les yeux. Elle s'était promis de ne plus jamais rien cacher à Gwenn, mais elle craignait tout de même sa réaction quant à ce qu'elle allait lui apprendre. Edward et moi, on veut... enfin, essayer de voir si ça peut marcher...

Et c'était sûrement horrible de parler de ça alors qu'elle avait au passage brisé le coeur de celui dont elle avait prétendue être la femme, mais elle voulait que sa meilleure amie la connaisse même dans ses pires travers. Elle ne voulait pas lui dissimuler cela.

Ç

a, c'est sûr, les mots qu'elle venait de prononcer, Jane elle-même n'aurait pas cru les dire avant... avant son enlèvement, même avant, cela lui aurait semblé complètement absurde et improbable, même quand elle avait pris la décision de quitter Léo, elle était toujours convaincue de ne pas pouvoir vivre sa relation avec Edward, parce que c'était impossible, parce que la violence de leurs sentiments les détruirait forcément. Maintenant, elle voulait croire que ce serait possible, parce qu'il le lui avait dit, parce que cet isolement loin de lui, la crainte de mourir, qu'il meure à cause d'elle, de ne plus jamais le revoir, avait effacé toute pensée rationnelle pour ne laisser qu'une impression prégnante, celle de ne pouvoir vivre sans lui, qu'importe la bienséance, et qu'importe ses résolutions passées. Oui, Edward était son âme soeur, et Gwenn avait raison, de parler de besoin, car c'était bien ce dont il s'agissait : pas une envie, pas un caprice, un réel besoin, presque vital. L'absence d'Edward lui avait fait plus de mal que les supplices que les Hellsing avaient pu lui faire subir, et cela voulait tout dire. Jane esquissa un léger sourire. Elle se sentait soulagée d'entendre sa meilleure amie lui apporter son soutien. Elle savait qu'elle serait la seule. Personne d'autre ne comprendrait. Mais elle pouvait bien se passer de l'approbation, de l'aval de tous les autres, du moment que sa meilleure amie, celle qui comptait le plus après Edward, était de son côté et ne la jugeait pas pour un comportement que l'on pouvait évidemment désapprouver, et pour des raisons plus que valables.

-Ça a de grandes chances de foirer. répondit-elle dans un léger haussement d'épaules. Mais au moins, il n'y aura que moi pour avoir mal, cette fois, et je l'aurais pas volé. Elle marqua une pause, elle avait le sentiment d'avoir bien trop parlé d'elle. Je sais vraiment pas ce que je ferais sans toi. dit-elle avec la plus totale des sincérités. Oui, ses histoires avec Edward, c'était bien beau, mais sans Gwenn, elle perdrait toute notion de la réalité. Tu m'as tellement manquée, si tu savais... Elle ne disait pas seulement cela par reconnaissance. Elle avait vraiment eu peur de ne plus jamais revoir sa meilleure amie, faillir à la tâche qu'elle s'était donnée de ne jamais l'abandonner, de ne jamais la laisser affronter seule ses démons. Tu vas bien, tu en es sûre ?

Gwenn n'avait pas répondu à sa question tout à l'heure, alors elle réitérait. Certes, la situation n'avait pas forcément été propice à ce que la jeune femme s'épanche sur elle, mais Jane avait éclairé son amie sur la situation, elle savait à présent qu'elle était saine et sauve, alors maintenant, Jane voulait s'assurer que Gwenn ne lui cachait rien sous le prétexte de la ménager et qu'elle allait effectivement bien. Jane n'était plus à une couleuvre à avaler près, et elle voulait montrer à la jeune femme qu'elle la soutenait toujours quelle que soit sa propre situation. C'était leur force, elles se serraient les coudes, même dans les pires moments. Ce moment le privait bien.

J

ane esquissa un fin sourire en entendant le conseil de sa meilleure amie. Elle aimerait, oui, vraiment, être capable de tout simplement l'écouter et l'adopter, mais elle n'y arrivait pas. Elle avait passé tant d'années à prendre l'idée de ne pas être compatible le moins du monde avec Edward comme un réconfort qu'il était difficile d'admettre qu'elle ait eu tort sur toute la ligne, qu'ils auraient tout simplement pu éviter les souffrances qu'ils s'étaient infligés mutuellement, et qu'ils avaient infligés à d'autres dans la foulée. Des souffrances qui n'étaient pas moindres, loin s'en faut. C'était presque par orgueil, qu'elle songeait que ça ne marcherait pas, alors que son coeur et son être tout entier lui hurlaient pourtant que c'était bel et bien possible, qu'elle ne le supporterait pas, si le contraire s'avérait vrai, si ses positions premières se voyaient justifiées. La jeune femme avait plus souffert de l'absence de son âme soeur que de toutes les tortures que lui avaient fait subir les Hellsing. C'était un besoin irrationnel et irrévocable. Elle ne pouvait lutter contre, c'était impossible. Oui, il faudrait qu'elle parte positive. Mais c'était toujours plus facile à dire qu'à faire... Elle ne saurait à quoi s'en tenir qu'au moment venu (et autant dire qu'il lui réservait plus d'une surprise. De très bonnes et de très mauvaises. Un ascenseur émotionnel comme elle aurait préféré ne jamais en subir, comme si elle n'en avait pas eu assez déjà). Pour la peine, elle préféra se concentrer sur Gwenn, et elle comprit rapidement qu'elle avait bien fait d'insister, car cette dernière avait effectivement des déboires sur le coeur et la conscience.

Jane afficha des yeux ronds en apprenant la nouvelle, ne sachant trop comment l'accueillir. Elle ne voyait que deux options, et aucune des deux n'était très enviable. Soit le loup-garou était un pervers de premier ordre qui aimait retrouver ses "créatures" pour abuser de leur crédulité et de leur corps, soit la morsure avait été accidentelle... Jane était interdite. Qui était cet homme ? Manifestement, Gwenn ne lui en avait pas parlé jusque-là. Est-ce qu'elle avait des sentiments pour lui ? Aux yeux de Jane, c'était forcément le pire cas de figure. Et elle était bien contrainte de s'y reconnaître elle-même, parce que pour ce qui était de tomber amoureux de son bourreau, elle avait fait fort. La différence étant que Jane et Edward s'étaient créés mutuellement. La relation que subissait Gwenn paraissait bien plus alambiquée.

-Je suis désolée... dit-elle en déposant une main compatissante sur son épaule. Cet homme, c'est qui ? Tu... Elle hésita. Tu as des sentiments pour lui ?

Elle aurait pu prendre plus de détours, mais en définitive, elle avait préféré poser directement la question. Après tout, de la réponse de Gwenn pouvait dépendre la suite de leur conversation. Jane était prête à la soutenir, quoi qu'il en soit.

A

u fond, et plutôt égoïstement (mais c'était malheureusement l'un des nombreux sales traits de caractère de la jeune femme), Jane déplorait un peu que Gwenn attende maintenant, alors que le mal était fait, pour lui parler de ce Wellan et de ce qu'elle avait pu ressentir pour lui. D'accord, ce serait franchement injuste que de lui reprocher de s'être tue, Jane, après tout, avait mis très longtemps avant que de reconnaître ses sentiments pour Edward et pour en parler avec sa meilleure amie. Elle pourrait toujours arguer que leurs situations étaient différentes, bien sûr (et d'une certaine manière, c'était effectivement le cas), sauf que, sur certains aspects, Jane ne les trouvait pas si éloignées. Cette impression désagréable que l'on éprouve quand on se découvre un trop-plein de sentiments pour quelqu'un qui vous a tant fait souffrir, Jane l'avait ressenti, elle en avait souffert, beaucoup, mais là où, chez elle, la haine avait progressivement laissé place à un amour qui trouverait une meilleure définition dans le substantif de passion, l'amour, ou l'esquisse de sentiments amoureux, en tous cas, laissait chez Gwenn place à une haine profonde. Preuve en était que la frontière entre ces deux sentiments était on ne peut plus ténue et fragile. Jane espérait du fond du cœur que la haine de Gwenn pour Wellan en resterait (tout le monde n'était pas obligé de suivre son exemple tordu et malsain), ainsi, elle avait une solution toute trouvée pour s'apaiser l'âme et se sentir mieux. Une solution toute bête, au fond : il fallait se venger. Et pour un monstre pareil, il n'y avait pas cent possibilités envisageables.

-Tu comptes faire quoi ? demanda doucement Jane qui, en son for intérieur, et même si les circonstances étaient bien plus responsables qu'elle (pour une fois), ne pouvait s'empêcher de se maudire intérieurement de prendre le train en marche et d'apporter si tard son soutien à la jeune femme. Il est hors de question qu'il s'en tire comme ça.

Elle avait parlé d'un ton sûr, déterminé, et qui montrait très clairement qu'elle avait les pires intentions du monde à l'écart de ce lycan. Un joli petit feu de joie, voilà qui ne serait sans doute pas un mal, pour ce sale cabot. Les problèmes de Jane - même s'ils s'avéraient très nombreux - lui semblaient dorénavant accessoires, elle préférait de loin y être plongée jusqu'au cou et se rendre utile à la jeune femme que l'inverse, et elle était prête à tout faire pour que ce sale type reçoive le juste châtiment qu'il méritait forcément. Oui, Jane était relativement quelqu'un d'égoïste, qui n'était pas du genre à rendre service à tout va ou à faire preuve d'une générosité extrême. Mais il y a des exceptions pour tout, et la jeune femme faisait ses propres (et rares) exceptions. Gwenn en faisait partie, indubitablement. Et ses intérêts passeraient toujours après les siens, ce quoi qu'il puisse arriver.

S

ans surprise, Gwenn était de son avis, Wellan devait payer (dans le cas contraire, Jane aurait remué son interlocutrice en tous sens jusqu'à ce qu'elle revienne à la raison et décide de se venger de ce sale crevard). Il lui fallait une vengeance à la hauteur de ce qu'il lui avait fait subir. Un simple coup de poing en pleine face ressemblerait à une caresse d'une douceur à vomir s'il fallait comparer cela aux dommages subis. Non, un type comme ça, il fallait qu'il souffre pas seulement physiquement, mais psychologiquement, aussi, ce sort qu'elle espérait pouvoir faire subir un jour aux Hellsing également pour tout le mal qu'ils lui avaient fait et dont elle se libérait à peine. Sauf qu'un gars aussi monstrueux n'avait sans doute pas de cœur, ou alors bien planqué, et pour l'attendre, il fallait percer une surface dure et rocailleuse. Qu'importe, elle obtiendrait vengeance. Elles obtiendraient vengeance, car Jane comptait bien soutenir sa meilleure amie et aider cette dernière à faire face à son créateur, à ce monstre dont elle avait cru s'éprendre. Sauf que, visiblement, elle n'avait pas attendu après elle pour mettre la machination en marche (d'un autre côté, elle avait été enfermée plusieurs semaines durant dans la cave miteuse et humide des Hellsing, cela n'aidait pas non plus), elle avait un autre allié pour cela. Et la jeune femme se sentit tout à coup bien stupide de ressentir ce semblant de jalousie à l'égard d'Arthur Lowell, qui avait proposé de l'accompagner lors de sa confrontation avec le loup-garou. Bien sûr, que c'était stupide, l'urgence, c'était d'apaiser ses maux, qu'importe que cela passe par elle ou par quelqu'un d'autre, au fond...

-Dans ce cas j'imagine que je serais de trop... répliqua-t-elle avec une amertume complètement mal placée de celle qui pense qu'elle doit constamment être le centre du monde.

Elle ne connaissait pas vraiment Arthur Lowell (pour mieux le connaître, il aurait sans doute fallu que la jeune femme passe plus de temps à la bibliothèque, et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'était pas un endroit où elle pourrait potentiellement prendre la décision de se rendre de son plein gré - elle et les bouquins, ça faisait mille), mais elle savait quand même que c'était un brave type, qui avait toujours été très présent pour Gwenn et sans doute plus à même de la soutenir dans sa condition de loup-garou, que Jane (qui aux dernières nouvelles n'en était pas une) ne pouvait que tenter de comprendre. Elle aimerait être capable de plus, mais tant qu'on ne vivait pas quelque chose, on ne pouvait que prétendre, comme elle s'était faite à l'idée que Gwenn ne saurait jamais exactement ce que cela signifiait que d'être une myrihande (même Jane avait un peu de mal, là-dessus). Au fond, c'était bien qu'elle soit soutenue, d'autant que Jane n'avait pas pu être là pour elle dans ces moments difficiles.
Ouais. Mais quand même...

O

ui, bien sûr, Jane savait pertinemment qu'elle n'avait aucune raison d'être jalouse, et même que c'était une attitude bien immature de sa part que de se permettre de l'être. C'était une bonne chose, en vérité, que d'autres soient là pour soutenir Gwenn, d'autant que Jane, bien malgré elle, était bien incapable d'endosser le rôle de la meilleure amie idéale, empêtrée qu'elle était dans ses satanés problèmes. Elle s'en voulait plus à elle-même qu'elle n'en voulait à Gwenn, à vrai dire. Dans ces moments là, elle avait vraiment le sentiment de négliger sa meilleure amie... C'est vrai qu'elle avait le sentiment d'être très égoïste, parfois. À force de se focaliser sur ses propres histoires, elle ne prêtait sans doute pas toute l'attention nécessaire à celles de Gwenn. Non, vraiment, elle ne pouvait pas se permettre d'être jalouse. Arthur avait été celui qui lui avait révélé la situation, il avait voulu soutenir Gwenn, il avait été présent à un moment où Jane ne l'était pas, et c'était tant mieux qu'elle n'ait pas à subir ça toute seule. C'était Jane, plutôt, qui devrait se remettre en question. Et elle s'en voulait vraiment d'avoir rendue sa jalousie si manifeste.

-Mais je veux que tu m'imposes tes problèmes, moi. répondit-elle un peu vivement, alors qu'elle n'était pas forcément bien placée pour lui faire la leçon là-dessus. Elle aussi la préservait quelque peu de ses propres ennuis... Mais qu'importe. En fait, le propos de Jane n'allait pas spécialement l'encourager à se montrer plus expansive sur ses ennuis, parce qu'elle se rendait compte qu'à force d'insister là-dessus, elle se donnait une sorte de monopole sur la douleur, alors que la situation de Gwenn était bien moins enviable que la sienne. Jane prenait seulement à cœur des choses auxquelles elle aurait dû renoncer, elle méritait sa situation quand Gwenn la subissait totalement. Quitte à ce qu'il m'arrive quelque chose, je préfère que ce soit pour toi qu'à cause d'une de mes conneries. ajouta-t-elle dans un sourire, histoire de détendre un peu les choses et de ne pas non plus passer pour la psychopathe ultra possessive qu'elle était certainement. Je suis désolée d'être comme ça... se sentit-elle obligée d'ajouter.

Parce que, vraiment elle se sentait désolée, d'autant que sa remarque avait été on ne peut plus déplacée étant donné son contexte. Jane n'était vraiment pas convaincue d'être la personne la plus fiable au monde (et pour cause...), si sa meilleure amie savait s'entourer, en plus d'elle, de personnes plus fiables, ce n'était certainement pas elle qui pourrait le lui reprocher, même si elle s'était plus ou moins permise de le faire. Ce qui comptait, c'est que Gwenn remonte la pente malgré les épreuves qu'elle endurait, et il est évident que plus elle serait entourée, mieux ce serait.

J

ane esquissa un léger sourire quand sa meilleure amie affirma qu'il ne lui arriverait rien. Si seulement... C'était le genre d'affirmation qu'il était agréable de faire, c'est vrai, et qui pouvaient sembler rassurantes. Quand la jeune femme entendait sa meilleure amie prononçait de tels mots, elle voulait vraiment y croire dur comme fer, se dire que le pire était derrière elle, tout comme il serait bientôt derrière Gwenn, et imaginer que l'avenir serait bien plus radieux pour eux que ne l'était leur présent et ne l'avait été leur passé. Elles étaient là pour se soutenir quoi qu'il en soit, et c'était au final le plus important. Quoi qu'il advienne, que Gwenn y soit lié ou non, il lui arriverait peut-être d'autres choses. Parce qu'il ne fallait pas se leurrer non plus, mais tant qu'elles étaient ensemble, elles pouvaient tout surmonter, au final, c'était le principal, vraiment. Jane voulut répondre quelque chose de cet acabit à son interlocutrice, afin de lui faire comprendre que, quoi qu'il advienne, l'essentiel était qu'ils puissent se soutenir mutuellement toutes les deux, mais Gwenn reprit la parole, et finalement, la jeune femme se dit qu'il valait sans doute mieux, au final, ne rien dire du tout, tout simplement. C'était encore le mieux. Après tout, qu'aurait-elle dit que Gwenn ne savait et ne pensait déjà.

-J'ai pas envie de partir. répondit Jane sans perdre son léger sourire quand son interlocutrice lui demanda si elle avait besoin de s'en aller ce soir. À vrai dire, il vaudrait sans doute mieux. Maintenant qu'elle était recherchée par les Hellsing, rester chez Gwenn, c'était forcément prendre le risque de la mettre en danger. D'un autre côté, elle était trop heureuse de la retrouver pour s'en aller maintenant. Et clairement, elle n'avait pas hâte d'aller se terrer dans la garçonnière de son âme sœur, toute consacrée à sa rivale. Tant pis, c'était sans doute égoïste, mais elle allait accepter la proposition de Gwenn. Elle ne voulait vraiment pas s'en aller. Va pour les bouteilles, t'as raison, ça nous fera pas de mal. ajouta-t-elle avant de venir spontanément serrer sa meilleure amie dans ses bras. Qu'est-ce que je ferais sans toi ?

Elle n'avait aucune envie de le savoir, par contre, Gwenn y gagnerait sans doute à le savoir, elle, parce que non seulement Jane la mettait en danger du simple fait de sa présence, mais en plus, elle aggravait ses problèmes d'alcool au lieu de l'aider à les soigner. La pire amie du monde. Ce n'était pas comme si elle ne savait pas que Gwenn devrait freiner sur l'alcool, elle en avait conscience. Seulement, elle ne pensait qu'à elle, au fait que ça leur ferait du bien d'oublier leurs problèmes dans l'alcool, alors elle agissait de la mauvaise manière, comme bien souvent.

J

ane n'était pas une amie digne de ce nom, et s'il en fallait encore une preuve, la manière dont elle encourageait l'alcoolisme de Gwenn (parce qu'elle n'ignorait pas, non, que sa meilleure amie avait un problème avec l'alcool, même si elle ne faisait rien pour l'empêcher), en était certainement une flagrante... Mais Jane considérait, au final, un peu comme Gwenn sans la même dépendance, que l'alcool était un moindre mal en comparaison de ceux qu'elles avaient pour habitude de subir, et ça soignait temporairement les bleus à l'âme, alors pourquoi s'en priver ? Elle aurait bien été incapable de dire non à un verre en cet instant, de toute façon. Alors elle but de bon cœur, consciente que ce n'était pas plus raisonnable que de passer la nuit chez la jeune femme alors qu'elle avait les Hellsing aux trousses. Mais après tout ce temps passé sans avoir si elle aurait l'occasion de revoir Gwenn, elle considérait qu'elle avait bien mérité d'être un peu déraisonnable. Elle esquissa un sourire quand cette dernière affirma que, sans elle, la différence serait qu'elle devrait d'elle-même s'approvisionner en alcool. Bien sûr que ce n'était pas ça, pas ça du tout, mais il n'y avait pas besoin d'insister davantage. Gwenn était essentielle à la vie de Jane, et elle voulait croire que, même si elle le lui montrait bien mal, par instants, elle en avait effectivement conscience. L'importance qu'elle avait à ses yeux était de celles que rien n'efface, et que les épreuves renforcent. Autant dire au passage qu'en termes d'efforts, elles étaient vernies, toutes les deux. Oui, leur amitié ne tenait pas à une banale histoire de biture, c'était tout autre chose, mais elles se le prouvaient suffisamment en actes pour que les mots n'aient pas par instants l'air biaisé. Et dire qu'elles étaient encore si jeunes. À ce rythme, allez savoir ce que leur amitié donnerait d'ici vingt ans.

-Ce serait épouvantable, plaisanta-t-elle avant de venir boire une nouvelle gorgée d'alcool.

Oui, si elle devait perdre Gwenn, ce serait épouvantable, mais certainement pas parce qu'elle lui permettait de sombrer dans un éthylisme bien mérité (quoique ça jouait quand même en la circonstance). Jane vida son verre à une vitesse folle avant de laisser reposer sa tête sur l'épaule de sa meilleure amie. Tout était allé si vite, tout avait été si mouvementé qu'il était plaisant de se poser, tout simplement, d'être en bonne compagnie, de pouvoir se reposer en toute confiance sur quelqu'un d'autre, et de fermer les yeux. Après l'enfer que lui avaient fait subir le Hellsing et tout le chambardement qui s'en était suivi (même si tout n'avait pas été désagréable dans ce dernier, loin de là), elle avait le sentiment d'éprouver un peu d'apaisement, de réel apaisement, pour la première fois.