Combattre les vieux démons est la meilleure des solutions (Jane <3)

J

ane n'en pouvait plus. Cette situation était en train de la rendre dingue. Cela faisait certes quelques jours seulement qu'elle était confinée dans cette fichue maison-laboratoire, comme un rat destiné à une expérience funeste qui poireauterait dans sa cage jusqu'au moment de passer sous le scalpel. C'était intenable. Elle tenait à sa liberté, et voilà qu'elle s'était volontairement affublée d'une prison pire que toutes celles qu'elle aurait bien pu envisager. Elle ne tiendrait pas longtemps, à ce rythme. Cette situation ne pouvait qu'être temporaire, sauf que même après quelques jours, elle ne se sentait pas loin de craquer. Le pire n'étant même pas cet insupportable isolement (quoique ça n'aidait pas, il n'y avait pas pire pour cogiter, et autant dire qu'il y avait de quoi faire), c'était la présence régulière de Perséphone, qui ne manquait pas de la narguer, jointe parfois à celle d'Edward, qui savait y faire, lui aussi, à ce petit jeu. C'est vrai, elle devait bien l'admettre, elle en crevait de jalousie. C'était injuste. C'était comme si on lui avait retiré toutes les armes à sa disposition, quand Edward avait gardé toutes les siennes. Elle en avait assez de cette situation, elle devait agir, même bêtement, peu importe, pour le juste retour de bâton. Certes, ils avaient pris une décision, et une fois mise en application, qui sait (quoi qu'il ne fallait peut-être pas trop rêver, quand même), elle disparaîtrait peut-être du paysage, mais en attendant, son esprit de revanche ne pouvait s'empêcher de la titiller. Et pour le mettre en oeuvre, ce n'était au final pas si difficile.

Elle avait rédigé une lettre à l'adresse de Connor. Brève, sans fioritures (contrairement aux siennes, à l'époque, lui qui aimait bien plus les mots qu'elle et qui avait tendance à en prononcer beaucoup trop), où elle lui donnait rendez-vous dans un coin sombre du village, généralement déserté, mais où Edward (elle y comptait bien), saurait la trouver. Avait-elle songé à Connor, durant sa séquestration. En définitive non. Et pourtant, il était le premier garçon pour qui elle avait cru éprouver de véritables sentiments. Qu'il avait foulés au pied en se séparant d'elle au moment où elle avait le plus besoin de lui. Il avait méprisé ses sentiments, alors elle l'avait rayé de sa vie. Depuis lors, le jeune homme était revenu à la charge plus d'une fois, mais Jane l'avait sublimement ignoré. Après son mariage avec Léo, elle n'avait plus entendu parler de lui. Comme d'autres, il avait sans doute eu vent de leur séparation. C'était peut-être en partie cela qui l'avait invité à venir la voir. En le revoyant, elle n'éprouva plus rien de ce qu'elle éprouvait autrefois, pas même un fond de nostalgie. Il n'était plus qu'un objet. Considération ignoble au possible, mais réel, elle l'utilisait pour atteindre un autre, et cet autre ne tarda pas à pointer le bout de son nez. Ils ne parlaient que depuis une dizaine de minutes quand son âme soeur fit son irruption. Elle ne put s'empêcher de se sentir satisfaite en découvrant sa réaction. Exactement celle qu'elle avait voulu.

-Ça se voit pas, Baker ? On est en train de parler. Et là, tu vois, tu déranges...

Voilà une éternité qu'elle ne l'avait plus appelé "Baker", preuve que leur relation avait pris un tournant différent, car autrefois, il ne fallait pas espérer entendre Jane daigner appeler le jeune homme par son nom de famille. Mais devant Connor et pour exaspérer Edward, elle décidait de jouer ce jeu-là. Après tout, pourquoi serait-elle à présent la seule à avoir une rivale ?

code by Mandy

A

pparemment, son petit manège avait bel et bien eu l'effet qu'elle escomptait sur Edward. Elle pouvait éprouver sa jalousie de façon suffisamment vive pour qu'elle la sache importante, et c'était exactement le but, pour le nombre de fois où la jeune femme avait rongé son frein en le voyant fricotter avec son insipide petit ami, et pour la satisfaction qu'il prenait à la savoir vivre sous ce toit qu'il avait à l'origine réservé à Perséphone, quand elle, ça la rendait purement et simplement dingue. Bien sûr, il savait pertinemment ce qu'elle avait à l'esprit, mais qu'importe qu'il ait conscience du jeu auquel elle jouait, du moment qu'il refusait d'y prendre part. Elle usait ses nerfs, elle le savait, et pas d'une manière qu'il puisse trouver vraiment plaisante (comme c'était en fait assez souvent le cas, avec eux), mais ça lui était bien égal, elle avait besoin de garder un semblant de contrôle sur sa vie, qui partait en vrille de tous les côtés. S'il fallait en passer par des méthodes aussi basses, elle n'allait pas se priver de le faire, en attendant, éprouver sa rage la faisait se sentir en vie.

Connor ne tarda pas à vouloir y mettre son grain de sel, prenant sa défense, alors même qu'ils devraient sans doute s'y mettre à deux (à trois, même, ils n'avaient qu'à inviter Léo à la fête) pour lui faire payer son attitude. Elle ne savait pas en quel nom il avait réussi à l'aimer au départ, et elle ne savait vraiment pas pourquoi il tenait encore tant à elle après le tournant qu'avait pris leur relation. Quelque part, elle appréciait qu'il prenne sa défense. Elle n'éprouvait plus rien pour lui, certes, mais il était agréable de sentir que quelqu'un puisse être capable d'accès de colères,voire de violence, parce qu'elle comptait suffisamment pour cela. Même si, bien sûr, c'était là une réaction qu'elle voulait surtout obtenir d'Edward, bien plus que de Connor, quoi qu'elle laisse paraître. Et elle obtint bel et bien ce qu'elle voulait, en fait, cela marcha même un peu trop bien, alors qu'il plaquait le jeune homme contre le mur le plus proche. Dire qu'elle se sentait entièrement concernée par le sort de Connor et désapprouvait à cent pour cent l'attitude d'Edward serait très clairement mentir. Elle aimait son tempérament sanguin (d'ailleurs, en vérité, elle aimait toutes ses qualités et tous ses défauts, mais qu'importe), mais elle ne voulait pas non plus mettre Connor en danger au nom de sa petite vengeance personnelle. Elle était une garce de premier ordre, elle ne pensait pas, à ce stade, que ce puisse être encore à prouver. Mais elle ne voulait pas pour autant qu'il arrive malheur au jeune homme que son âme soeur plaquait contre le mur. C'était un intermédiaire à leurs conflits, il n'avait pas besoin de finir amoché pour autant.

-Non mais ça va pas ? Elle attrapa le bras d'Edward, dans l'espoir de lui faire lâcher prise, ignorant difficilement la chaleur que ce contact diffusait dans tout son être. Lâche-le, ordonna-t-elle, tout de suite !

code by Mandy

C'

était de sa faute. Elle avait voulu jouer avec le feu, comme toujours (elle n'incarnait vraiment pas cet élément pour rien, c'est certain), sauf qu'elle ne se réchauffait pas à ses flammes, elle était en train de s'y brûler. Et de brûler Connor, par la même occasion. Elle lui en voulait. Terriblement, même. Elle l'avait haï pour l'avoir abandonné, au moment où elle avait vraiment besoin de soutien, alors qu'elle n'était (encore) responsable de rien. Mais il ne méritait pas pour autant de se faire brutaliser. Enfin si, un peu, mais pas à ce point, tout de même. Elle savait que, si quelqu'un pouvait parvenir à temporiser, ne serait-ce qu'un peu, les accès de violence de son âme soeur, c'était elle, mais à l'heure actuelle, son intervention le laissait de marbre. Il la repoussa, et avant que Jane ne puisse repartir à l'assaut, Connor avait enfoncé son poing dans le visage d'Edward, Jane encaissa le coup au même titre que son âme soeur, et la douleur qui lui engourdissait le visage était vraiment désagréable. Le coup porté aurait sans doute pu être plus douloureux encore, mais Jane le trouvait déjà vraiment déplaisant. Edward tomba à la renverse sous le choc, ou plutôt sous l'effet de la surprise. Toute l'inquiétude de Jane, précédemment portée sur Connor, se concentra sur Edward. Alors qu'il se redressait et s'apprêtait à fondre à nouveau sur Connor. Jane s'interposa avant, serrant ses doigts autour de ses poignets, obligeant son regard à soutenir le sien.

-On se calme, d'accord ? Ça en vaut pas la peine. Ça allait déjà trop loin. La jalousie d'Edward était pour elle stimulante, et compensait agréablement ces journées passées chez Perséphone, à ronger son frein, à supporter d'être la cinquième roue du carrosse, que l'on planque avec commodité, quand elle pensait très sincèrement valoir mieux que ça. Mais elle ne voulait pas non plus mettre Connor en danger directement. Elle voulait qu'il s'en prenne à elle, pas à lui. Alors qu'elle ne lâchait pas Edward des yeux, tentant de maintenir son emprise sur ses poignets (ce qui serait sans doute vain, car elle n'était clairement pas la plus forte des deux, elle ne pensait l'être ni physiquement, ni mentalement, d'ailleurs). Il n'en vaut pas la peine. ajouta-t-elle, espérant que ces derniers mots auraient plus d'impact.

Sur Edward, elle ne savait pas, mais sur Connor, ça ne faisait pas le moindre doute. C'était insultant pour lui, c'est vrai, et Jane ne le pensait pas complètement, au fond, parce que Connor avait trop compté pour elle pour qu'il ne signifie plus rien. Sous le choc, il l'insulta à son tour, lui reprocha de s'être foutu d'elle, et sans doute encore plus quand ils étaient ensemble. Ses reproches la révulsèrent. C'était ça qui était le plus insupportable, pour elle, elle avait été l'inverse de fidèle et irréprochable avec Léo, mais elle n'avait jamais voulu trahir Connor.

code by Mandy

J

ane pensait être parvenue à désamorcer la bombe, Edward lui semblait plus calme, plus disposé à cesser de s'en prendre à celui que Jane avait pensé à tort être l'homme de sa vie, autrefois. Ils n'avaient plus qu'à s'en aller, et Jane à remballer sa fichue vengeance à l'adresse de son âme soeur. Ça ne menait nulle part. Sauf que Connor, lui, n'avait pas l'intention d'en rester là. Ses propos la blessaient profondément, quoi qu'elle garde d'aspect une attitude parfaitement contrôlée. Elle savait bien que c'était la déception qui parlait dans les mots que lui adressait Connor, ils n'étaient pas pour autant agréables à entendre, bien loin de là. Elle l'avait cherché, certes, elle l'avait utilisé, soit, mais elle refusait qu'il lui parle en ces termes là. C'était injuste et douloureux. Douleur qu'Edward sembla ressentir également, puis qu'il su se défaire de l'emprise sur ses poignets (une fois encore, elle faisait difficilement le poids, et s'en prit de nouveau à Connor, mais cette fois, ce ne furent pas ses mains, qu'il utilisa. Il tira son briquet de sa poche, et Jane comprit immédiatement.

-Ed, non !

Mais il ne l'écouta pas, et une volée de flammes impressionnante fondit sur le jeune homme qui, tétanisait, tentait dorénavant d'éteindre le feu qui prenait sur ses vêtements, et attaquait à présent sa peau. Il s'était roulé au sol, dans l'espoir de dissiper le feu, mais il lui rongeait tout l'épiderme. Jane, tétanisée, tentait d'employer son pouvoir en sens inverse et de réduire les flammes. Les résultat n'était que moyennement probant. Accroupie à côté de lui, qui hurlait de douleur en se roulant dans tous les sens, les yeux humides, elle parvint finalement à éteindre le feu... Mais alors, Connor avait déjà cessé de crier. Une odeur de viande brûlée imprégnait l'air alors que le corps calciné du jeune homme ne donnait plus le moindre signe de vie. Jane tenta en vain de le ranimer, mais il fallait se rendre à l'évidence. Il était trop tard.

Elle ne dit rien. Elle s'assit à même le sol, dos au mur, fixant le corps sans vie de l'écrivain. Elle avait su contenir ses larmes, mais elle se sentait... en fait, elle n'avait pas de mots pour décrire ce qui lui arrivait, elle se sentait comme dans un état second. Elle tremblait comme une feuille, sans réussir à se contrôler. Incapable de permettre à la moindre pensée cohérente de mûrir dans son esprit. Connor était mort. C'était arrivé si vite. Edward avait tué Connor. Et c'était de sa faute. Connor était mort. Son cadavre gisant à quelques centimètres, et c'était de sa faute, celle de son putain d'orgueil. Elle était tiraillé entre tant d'émotions qu'elle pensait imploser, et son corps ne suivait plus, elle ne contrôlait rien, et encore moins les vifs tremblements qui l'animaient sans cesse.

code by Mandy

I

l y avait les sentiments que Jane ressentait, ce dégoût, cette angoisse, cette horreur, cette tétanie qui la rendaient incapable du moindre mouvement ou de la moindre parole, qui lui donnait envie de disparaître sous terre et de ne plus jamais en ressortir... Et il y avait les sentiments d'Edward. Cette espèce de sensation jubilatoire, d'excitation et de frénésie. Les deux n'avaient pas grand rapport l'un avec l'autre, on pouvait même dire qu'ils étaient complètement opposés. Mais ils se confondaient bien malgré elle dans l'esprit de Jane, et éprouver ce sentiment grisant en même temps que cette impression tenace de dégoût renforçait plus encore cette dernière émotion. Elle n'arrivait toujours pas à contrôler ses tremblements, vraiment pas, et elle se sentait toujours incapable de quoi que ce soit. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle se serait certainement contentée de rester là, sans bouger, portée par ses émotions intenses et incontrôlables, mais Edward, lui, ne l'entendait pas de cette oreille. Et il avait raison, bien sûr. Ils ne pouvaient certainement pas restés plantés là. Même s'ils se trouvaient dans un lieu isolé du village, ils pouvaient être surpris à n'importe quel moment. Ils ne pouvaient pas non plus laisser le corps là, les soupçons pourraient bien trop rapidement se porter contre eux, et c'était la dernière chose dont ils avaient besoin pour le moment...

Pendant plusieurs secondes, Jane ne bougea pas, regardant, comme absente, Edward tirer Jacob par les jambes. Le lac n'était pas loin... Ils pourraient peut-être achevé de le brûler une fois là-bas avant de jeter les maigres restes dans l'eau... Mais... Cette seule idée donnait à Jane l'envie de vomir... Après un moment, elle décida de se redresser tout de même, mais elle n'avait pas le sentiment d'avoir fait le moindre mouvement, vraiment pas, comme si quelqu'un d'autre guidait ses pas, et ses gestes, alors qu'elle attrapait finalement les bras du jeune homme pour aider son âme soeur à porter le corps. Elle fit ainsi plusieurs, pas, fixant droit devant elle. Puis son regard tomba vers le bas, et croisa le regard calciné de Connor. Elle eut aussitôt un haut le coeur et lâcha brusquement prise, saisie d'une nouvelle vague de panique.

-J'peux pas, j'peux pas, j'peux pas...

Elle répétait ces mots dans un souffle, inlassablement, complètement perdue, mal comme elle n'avait jamais eu le sentiment de l'être (et elle avait eu bon nombre d'occasions de l'être dernièrement, pourtant, il faut croire que cette accumulation ne lui faisait vraiment pas le plus grand bien). Non, elle ne pouvait pas, elle n'y arrivait pas. Il le fallait, oui, mais elle était si horrifiée d'elle-même qu'elle perdait quasiment tout courage. Les mains sur la tête, les ongles enfoncés dans le crâne, elle luttait vraiment, pourtant, pour se ressaisir, mais elle était complètement dépassée. Et ce cadavre à éliminer semblait ne pas l'accuser que de ce crime seulement. De tout le sang et toutes les douleurs qu'elle avait sur les mains, aussi.

code by Mandy

S

ans l'intervention d'Edward, Jane aurait peut-être pu rester plusieurs minutes, voire plus, comme cela, sans bouger, à juste se lacérer la peau du crâne. Elle était complètement en train de flancher. Peut-être n'aurait-elle pas réagi de la sorte si la situation était un peu différente, s'il n'y avait pas eu avant cela cette accumulation totale de déboires et d'épreuves dont elle n'était pas encore entièrement remise et qui l'avaient fragilisée. Non pas qu'elle aurait su être indifférente, Connor était mort, et ce simple constat la faisait frissonner d'horreur des pieds à la tête, mais là, elle perdait vraiment tout moyen. Et contradictoirement, c'était celui qui était à la cause de bon nombre de ses maux qui était le seul capable de véritablement les guérir. Et en effet, quand il attrapa ses mains, quand elle sentit cette douce chaleur se répandre depuis ses bras jusque dans tout son corps, elle se sentit légèrement apaisée. Pas au point, bien sûr, de se sentir instantanément mieux, mais déjà, ses tremblements se réduisaient, et la panique s'amenuisait un peu, et encore plus quand son regard se plongea dans le sien et qu'elle se laissa agréablement porter par le son de sa voix, qui lui insufflait un peu de force et de courage. Elle ne lâcha pas Edward des yeux, osa à peine ciller. Elle prit plusieurs grandes et longues inspirations, et sa respiration était un peu moins saccadée et anxieuse que tantôt. Elle se répétait au creux de son crâne les mots d'Edward. Ils devaient le faire. Ensemble, ils n'avaient pas le choix, et même si cela la révulsait profondément, elle n'était pas moins responsable que lui.

-On est plus fort que ça. approuva-t-elle doucement, dans un souffle encore un peu brisé.

Sans prévenir, elle se serra dans les bras de son âme soeur. Pas longtemps, juste une fraction de secondes, le temps de s'imprégner complètement de cette chaleur intense qui lui était plus que nécessaire en cette seconde. S'il avait besoin d'elle. Elle avait plus encore besoin de lui. Après quelques secondes, elle s'écarta. Son regard daigna se poser de nouveau sur le cadavre de Connor, et même si elle ne se sentait clairement pas au meilleur de sa forme, elle se sentait déjà un peu mieux. Elle ne dit rien, elle se contenta de récupérer à nouveau les bras de Connor, et ils purent l'emmener jusqu'à un lieu sûr, complètement isolé de toute exposition. Jane sortit à son tour son briquet de sa poche. Quelques secondes plus tard, le corps s'embrasait de nouveau, mais dans une plus grande ampleur. À nouveau, cette odeur de viande grillée. Après quelques minutes, au cours desquels Jane se contenta d'observer le brasier les poings serrés, plus calme que tout à l'heure, il ne resta plus de Connor qu'un tas de cendre et quelques ossements que Jane entreprit de jeter dans les profondeurs du lac, qui se trouvait à quelques mètres. Ceci fait, elle se contenta d'en observer la surface opaque d'un air absent. La panique avait été réduite au silence. Mais dorénavant, elle se sentait incroyablement vide.

code by Mandy

E

lle restait là, impassible, à fixer un point invisible à la surface de l'eau, perdue autant dans ses pensées que perdue toujours, et quand Edward posa ses mains sur ses bras avec douceur, elle ne s'y était pas attendue, mais une chaleur agréable traversa son échine. Elle ne se retourna pas, malgré tout, son regard ne lâchait pas ce point invisible. Est-ce qu'elle allait bien ? La question était vaste, et il lui semblait que la réponse ne pouvait en rien être positive. Tout avait été si rapide, si précipité. Tout n'allait déjà pas pour le mieux dans sa vie avant cela, mais voilà qu'en quelques semaines seulement, elle se faisait séquestrer par les Hellsing, Léo se séparait d'elle, elle se découvrait un père qu'elle pensait mort et enterré (et qui s'avérait seulement mort et non enterré), elle vivait dans le laboratoire de cette satanée Perséphone, qu'elle ne pouvait pas voir en peinture, elle avait avorté de l'enfant qu'elle avait dans le ventre. Et maintenant, Connor était mort, réduit à se rien du tout qui coulait désormais au fin fond du lac sombre. Comment était-on supposé vivre autant ? Comment est-ce qu'on pouvait supporter cette accumulation sans devenir complètement fou. Elle n'avait qu'un moyen de se sentir mieux, celui qui posait doucement ses mains sur elle, et cette chaleur incroyable qui simplifiait tout... et compliquait ces mêmes choses dans le même temps.

-Je sais pas... répondit-elle d'une voix éteinte en croisant les bras. J'sais plus, je...

Elle se retourna finalement, pour faire face à Edward. Elle aurait aimé pouvoir plus pleinement encore ressentir ce que lui vivait quand elle même avait l'impression d'avoir atteint le quota de douleur, celui au-dessus duquel on n'éprouve plus rien du tout. Elle aimerait, oui, connaître entièrement la satisfaction, même si c'était celle de tuer de sang froid...

-J'ai besoin de m'éloigner un peu, là.... Ça a plus de sens, tout ça, faut que je repense tout, faut que je recommence tout. Elle parlait, à vrai dire, plus pour elle-même que pour son interlocuteur, mettant des mots sur le fil complètement embrouillé de ses pensées. Ça n'y mettait pas davantage d'ordre, malheureusement. Tout ce dont elle avait envie en cette seconde, c'était d'effacer complètement l'ardoise, et de naître à nouveau. Elle prit une légère inspiration. On a dit qu'on s'isolerait quelques jours, juste toi et moi. Je veux que ce soit maintenant.

Elle n'avait pas oublié leur promesse, loin de là. Elle avait vraiment besoin, là, maintenant, tout de suite. C'était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher. Et pourtant, elle devrait le haïr, aujourd'hui plus encore qu'hier, pour le crime qu'il venait tout juste de commettre, pour cet intense instant d'angoisse. Ce n'était pas le cas. Elle n'avait plus rien à perdre, et tout à essayer.

code by Mandy

L

a décision de Jane pouvait sembler ce qu'il y a de plus absurde. Quelqu'un de normalement constitué devrait fuir à tout prix le psychopathe qui avait tué son ex. Mais Jane n'était pas normalement constituée. Et puis, elle savait que ça ne servait à rien de faire mine de le fuir et de la haïr, elle retomberait dans ses bras de toute manière, elle n'arrivait pas à faire quoi que ce soit d'autre. Elle était choquée par la mort de Connor, et pourtant, elle n'arrivait pas plus à la reprocher à son âme soeur qu'à elle-même. Ils avaient peut-être atteint la consécration de ce qu'ils étaient capables de faire dans l'optique de se détruire mutuellement. Alors il était peut-être temps qu'ils cessent de se faire du mal (enfin un peu, pas complètement non plus, ce ne serait pas drôle du tout), et qu'ils mettent leurs promesses à exécution. Jane en ressentait le besoin immédiat, oui, même si c'était complètement insensé, et sans aucun doute précipité. Elle voulait le faire maintenant, tant qu'elle en avait la force de volonté. Ça n'avait rien de bien judicieux, bien sûr, c'était même l'inverse de cela, elle ne savait même pas où ils iraient, et si tout le monde se ficherait bien de son absence, si elle n'avait pas grand chose à laisser derrière elle, il fallait bien qu'Edward trouve une excuse auprès de sa famille et de sa gourdasse de Perséphone. Et d'ailleurs, Jane ne manqua pas de ressentir ses réticences, qui la refroidirent légèrement. C'est vrai, c'était absurde maintenant. Ce serait peut-être absurde plus tard aussi. Mais si elle avait été certaine qu'elle voulait qu'ils tentent le coup dès l'instant où ils avaient pris cette décision ensemble. Mais là, à cet instant précis, l'idée s'imposait plus encore qu'une évidence, comme une nécessité. Elle était perdue, il fallait qu'elle retrouve son chemin. Et elle ne pouvait s'empêcher de se demander si ce chemin ne pourrait pas se retrouver face à elle.

-C'est la seule chose dont je suis encore sûre.

Et ça, c'était plus que sincère. Pour le reste, elle était dans le flou total. Par contre, elle commençait à se dire que, à juste titre, Edward vivait une situation inverse. Elle était la seule zone d'incertitude de son existence. Le seul flou, le grain de sable dans un engrenage qui aurait pu être parfaitement bien huilé. Peut-être qu'il n'y tenait pas autant qu'elle... En tous cas, elle comprenait bien qu'il ne se voyait pas tenter l'essai dans la seconde.

-Ça attendra, c'est pas grave, affirma-t-elle finalement d'un ton un peu plus sec. Elle passa une main dans ses cheveux. C'est moi, je suis en train de devenir complètement dingue. C'était peu de le dire. Elle marqua une pause. On fera comme tu voudras.

code by Mandy

Ê

tre pleinement et entièrement elle-même était devenu vraiment difficile pour Jane, ces derniers temps, et elle était la première à détester cela, au passage, c'était aussi pour cela, dans l'espoir de se retrouver elle-même, qu'elle avait envie de se retrouver seule avec Edward, pour se sentir pleinement et entièrement elle-même, pour qu'ils deviennent un être unique et qu'elle sache redevenir celle qu'elle préférait être. Ce n'était pas pour tout de suite, c'était normal, en même temps. Elle n'avait absolument pas réfléchi, elle avait laissé parler une envie qu'elle aurait dû garder pour elle, sûrement. Sauf qu'elle n'avait eu que cela à l'esprit. Elle ne voulait plus de cette vie en suspension, et se contenter de rentrer tout simplement chez "elle", ou plutôt chez Perséphone, et reprendre son insipide vie de planquée sans substance, elle n'en avait pas la force, elle n'en pouvait plus, elle était complètement à bout. Quand Edward suggéra que cette histoire était peut-être une mauvaise idée, et même si Jane se rendait bien compte qu'il cherchait à le provoquer (son "Hardwick" n'était pas là pour rien et faisait parfaitement écho au "Baker" qu'elle avait prononcé plus tôt, elle aussi, dans le but manifeste de le provoquer - ce qui avait un peu trop bien fonctionné, au passage), elle eut une copieuse envie de lui en foutre une. Elle ne se retint que pour ne pas jouer les hystériques en plus du reste. Elle croisa les bras, poussa un profond soupir.

-T'as raison, c'était une idée de merde. Le simple fait de l'insulter un peu donnait des accents un peu plus assurés à sa voix, autant dire que cela lui faisait un peu de bien, finalement, elle aurait peut-être dû commencé par là. T'es un psychopathe et un pyromane, et je préfèrerais crever plutôt que d'avoir quoi que ce soit à faire avec toi, connard.

Voilà qui était dit. Voilà ce dont elle ne pensait bien sûr pas le moins du monde. Bien sûr qu'elle ne le pensait pas. Mais après tout, puisqu'il voulait jouer à ça, puisqu'elle n'avait, pour sa part, plus la force de quoi que ce soit, elle complétait les rouages d'une mécanique aussi vieille qu'eux. Au moins, à ce jeu-là, elle était complètement rodée, et si ça lui déplaisait, elle pouvait bien prétendre que ce mal-être n'était rien, et qu'elle pouvait toujours insulter allègrement. Alors ce n'était pas si grave. Rien n'était grave. Oui, elle devait se contenter de ça pour l'instant, puisqu'elle avait beau être désespérée, elle n'allait pas non plus se jeter à ses pieds pour lui supplier de fuir avec lui dans la seconde. C'était comme ça. Après cet ultime coup fatal, elle n'aurait pas pire, de toute façon, alors même si elle gardait suffisamment de conscience de la situation pour ne pas croire qu'il avait abandonné, elle gardait pour elle l'agacement de masquer son malaise derrière l'agressivité de façade.

code by Mandy

O

Oui, Edward Baker était un psychopathe et un pyromane, de tous les « reproches » qu’elle pouvait faire à son interlocuteur dans le seul but de l’emmerder, celui-ci avait l’exceptionnel mérite d’être parfaitement véridique et vérifiable. Après tout, il venait ni plus ni moins de brûler un être humain, le tout sans une once de culpabilité, pas la moindre. Si ça, ce n’était pas être psychopathe et pyromane. Bon, ceci dit, il avait tout à fait raison de lui retourner le « compliment ». Elle n’était pas plus exempte que lui de ces deux défauts. Et sans doute fallait-il en être affublé pour pouvoir être qualifié sans conteste de myrihandes du feu. Ça faisait partie d’eux, de l’un comme de l’autre. Et on ne le répètera sans doute jamais assez, au-delà de tout ce qu’ils étaient capables de s’envoyer l’un l’autre à la figure, ils étaient pareils, tous les deux. Ce pourquoi, même quand ils parvenaient à prétendre se haïr, le vernis finissait toujours par craqueler, et les vrais visages à se révéler derrière les masques. Et il pouvait se fissurer d’autant plus facilement que Jane avait toutes les peines du monde à supporter la proximité de son âme sœur avec elle, parce qu’il n’y avait presque rien, quelques centimètres seulement, pour servir de distance entre eux. Rien du tout, somme toute, pas assez, certainement. Rien qui ne sache rendre clair, en tous cas, un esprit perturbé et choqué, qui d’ordinaire déjà avait une bien faible capacité de résistance à ces lèvres précises quand elles se trouvaient si proches des siennes.

-Ne me tente pas, souffla-t-elle, bien décidée à ne pas franchir l’infime distance qui la séparait encore d’un baiser qu’elle saurait, elle le savait, savourer plus que tout, et dont elle pensait avoir besoin comme jamais auparavant.

Les mots qu’elle venait de prononcer, si simples pouvaient-ils sembler, s’entendaient de différentes manières. Elle parlait au premier degré, bien sûr, de s’entretuer là, maintenant, dans la seconde, de ne rien tenter, tout simplement, et de simplement baisser les armes. Jane devait bien reconnaître que ce genre d’éventualités lui avait déjà traversé l’esprit, mais même dans l’état le plus misérable possible, même quand tout semblait perdu, elle était bien incapable de mettre fin à ses jours, et encore moins à ceux d’Edward. Elle tenait à la vie. Et elle tenait à la sienne. Mais cette perspective morbide avait pour autant quelque chose d’assez tentant. Tous ces bruits dans sa tête cesseraient pour de bon de lui marteler le crâne. Elle serait libre, ils seraient libre. En paix. Et elle libérerait aussi tout ceux qu’elle avait gardé dans son sillage et n’avait su que faire souffrir. Leur mort serait un bien commun, et un bien pour eux aussi. Mais même considérant cela, elle n’était pas vraiment capable. Et les mots qu’elle prononçait était plus à entendre comme « ne me tente pas, à garder tes lèvres si proches des miennes, ou je vais céder, et j’en ai assez d’être la plus faible de nous deux » que comme « ne me tente pas de t’immoler, toi aussi.

code by Mandy

R

ésister. Lui résister. Comment en être capable ? Comment espérer seulement y parvenir. Le semblant de volonté qu'elle pouvait posséder d'appliquer l'ordre de son âme soeur peinait à se faire jour alors que sa concentration semblait ne plus savoir être focalisée que sur une chose, une seule et unique chose : ses lèvres, si proches des siennes que chaque syllabe qui se détachait se déposait immédiatement sur ses lèvres à elle, dans un souffle aux accents de promesses. Quelques millimètres, quelques millimètres seulement, et elle serait certes abandonnée à sa faiblesse mais libérée d'une frustration qui frôlait l'intolérable. Non, elle ne pouvait pas résister. Elle y parvint une fraction de secondes, mais elle aurait cédé presque aussitôt, et eut seulement la satisfaction qu'il cède avant elle, mettant fin au supplice, approchant pour son plus grand bonheur son corps du sien, pour s'abandonner à la chaleur qui l'envahissait alors, incroyable, incomparable. Elle se serra fermement contre le jeune homme, ses bras passés derrière son dos, savourant ce moment, qui la confortait plus encore dans l'envie qu'elle avait exprimée si clairement quelques minutes auparavant. Elle ne savait plus où elle en était, elle ne savait plus même qui elle était. Mais un baiser de sa part, un seul, et les craintes, la douleur, les doutes, s'évaporaient dans une brume impalpable, et il n'y avait plus qu'elle et lui. Elle n'aurait rien contre le fait de passer sa vie entière de la sorte, de moins en moins convaincue qu'il s'agissait là d'un projet si irréaliste que ça. Et elle ne put s'empêcher de sourire, très sincèrement, quand le jeune homme approuva sa décision de tout envoyer balader, là, maintenant, tout de suite, pour faire l'essai. Parce que l'instant pourrait difficilement être plus approprié, pour Jane du moins. Ce n'était pas une décision qui devait se prendre dans la précipitation, pourtant, mais la jeune femme songeait que s'ils la prenaient en d'autres circonstances, s'ils la calculaient trop, ils n'obtiendraient pas le même effet. L'appréhension prendrait le pas sur la sincérité. Avant de répondre quoi que ce soit, elle l'embrassa à son tour, avec cette passion qui leur était caractéristique.

-D'accord. approuva-t-elle, une lueur aventurière dans le regard. Où va-t-on ?

Il y avait sans doute mille autres questions à poser, beaucoup de questions techniques, en somme. De type : que va-t-on dire à Perséphone ? Mais Jane ne cherchait pas à y penser (la jeune sorcière pouvait bien penser ce qu'elle voulait de leur escapade, y compris la vérité, ça arrangeait bien Jane dans le fond), elle savait qu'il n'était pas très avisé de partir comme ça sur un coup de tête, mais tant pis elle en avait trop besoin, et leurs décisions impulsives (comme celle  de se marier, par exemple) étaient certes les plus folles, mais également les plus fortes et les plus intenses.

code by Mandy

U

ne fois de plus, les deux myrihandes du feu constataient les limites des décisions qu’ils pouvaient prendre sous l’effet de l’impulsion. C’était bien beau de vouloir s’abandonner immédiatement à son envie, mais il était plus d’un détail technique qu’il leur était nécessaire de régler avant toute autre chose. S’ils étaient vraiment réglables. Le sourire que Jane affichait tout à l’heure s’était effacé, elle avait espéré qu’Edward aurait une solution toute trouvée, et que cela suffirait, mais ce n’était pas le cas… Et Jane n’avait pas de solution non plus. Si elle avait à sa disposition la moindre planque où disparaître ainsi avec Edward, c’est là qu’elle vivrait à l’heure actuelle, plutôt que dans la garçonnière qu’Edward avait réservé à son insipide Perséphone… Ce n’était pas le cas. Elle poussa un soupir. Elle n’avait pas envie d’attendre posément de trouver une solution à leur problème, elle ne voulait pas qu’ils planifient les choses… Planifier, c’était appréhender, c’était se donner un handicap dès le départ. Et c’était hors de question… Il leur fallait un havre, éloigné du village, même temporaire, même insalubre… Et alors, elle eut un éclair de lucidité. Une solution qui n’avait rien d’idéale, mais qui leur suffirait à n’être que tous les deux ensemble.

-Je pense savoir où on peut aller.

Une planque. Sa planque. Ou plutôt, sa planque quand elle était encore toute gamine et qu’elle voulait fuir sa mère, une cabane planquée dans la forêt, un endroit ridicule, où il serait impossible de vivre décemment bien longtemps, mais qui pourrait bien faire l’affaire l’espace de quelques jours. C’était incertain (et insalubre) mais peu importe. Cela suffit à lui redonner le sourire. Allez savoir s’ils iraient très loin de la sorte, mais son impatience (encore aiguisée par la chaleur de leurs deux corps l’un contre l’autre) parlait à sa place, elle ne pouvait pas attendre, elle ne voulait pas entendre.

-Et je n’ai de compte à rendre à personne, moi. Se permit-elle d’ajouter dans un sourire en coin. C’est vrai, elle, si elle le voulait, pouvait se contenter de partir fissa sans prévenir personne et sans aucun scrupule, mais le fait est qu’elle avait tout de même une idée derrière la tête. Elle prit une inspiration. On peut prétendre que je me suis enfuie. En te laissant un mot suffisamment alarmant pour que tu partes à ma poursuite. Tu arriverais à convaincre ta… bref, tu arriverais à la convaincre de mariner chez elle et de ne pas t’accompagner, non ?

C’était la seule solution qu’elle voyait, la seule qui sache justifier son absence, leur absence commune sans éveiller les soupçons. Jane serait bien capable de rédiger une missive digne de ce nom. Perséphone s’était suffisamment inquiétée pour Edward pour accepter qu’elle vive dans son laboratoire. Elle accepterait qu’il aille à sa recherche si elle pensait que sa vie était en danger. Oui, c’est certain, il était question de se jouer de la crédulité d’Enjolras. Et Jane n’éprouvait aucun scrupule à ce sujet. Bien au contraire, l’imaginer s’inquiéter et ronger son frein pendant qu’ils seraient tous les deux ensemble, c’était du bonus, pour elle.

code by Mandy