Avoir une fille... [pv Joachin <3]

I

l n'y avait pas eu de signe avant-coureur, rien qui ait pu indiquer à Cael qu'un tel événement allait se produire, et ça ne manquait pas de l'inquiéter, car si les Milford n'avaient jamais été les femmes les plus saines et les plus prévisibles de notre terre, leur disparition soudaine n'en était pas pour autant surprenante. D'aussi loin qu'il connaissait cette famille, elle n'avait jamais quitté la masure qu'elle habitait près de la forêt... et quand bien même elles avaient décidé de s'en aller... jamais Arseliann n'aurait abandonné Zoile... ou bien ? Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle lui avait confié sa fille ce jour-là, sans lui dire jusqu'à quand elle voulait qu'il la garde, amenant avec elle la presque totalité des affaires de la petite fille (ce qui ne faisait pas grand-chose, ceci dit). Elle avait semblé inquiète, ce jour-là... mais c'était peut-être une impression de sa part ? Il ne s'en était pas formalisé sur le moment, en tout cas. Cael s'était seulement dit qu'elle avait eu un nouveau différend avec sa mère et sa grand-mère, comme cela semblait être de plus en plus fréquent depuis qu'elle avait présenté Zoile à son père. Non, sur le moment, il ne s'était pas alarmé. Il avait été trop heureux de pouvoir s'occuper de sa fille, aussi n'avait-il pas discuté. Puis les jours avaient passé, et la sorcière ne revenait pas. Passée une semaine, Cael était devenu vraiment inquiet, d'autant que sa fille, bien sûr, ne cessait d'appeler après sa mère. Elle n'était jamais restée aussi longtemps seule avec Cael, et même si une vraie relation père/fille se tissait progressivement entre eux, elle voulait retrouver sa vie habituelle, celle des recluses, et surtout retrouver sa mère. Le fé avait alors pris la décision de ne plus attendre Arseliann et de se rendre immédiatement à son domicile, mais une fois sur place, il avait trouvé la masure déserte. De même les jours suivants. Il avait laissé plusieurs lettres à l'attention de la jeune femme, toutes étaient restées sans réponse...

Zoile se montrait de plus en plus insistante, elle voulait absolument savoir où était sa mère, et c'était bien normal... À vrai dire, c'était aussi le cas de Cael... Il savait bien qu'il avait pu leur arriver quelque chose de terrible. Mais il voulait garder espoir, pour sa fille, surtout, aussi s'était-il juré de rassurer Zoile, quitte à lui mentir, tant qu'il n'aurait pas la confirmation de ce qu'il appréhendait malheureusement. C'était pour cette raison que cette nuit-là, après avoir confié sa fille à une nourrice (il ne pouvait pas se permettre de la prendre avec elle où il se rendait, même s'il n'aimait pas l'idée de la laisser avec quelqu'un d'autre, même de confiance), il avait traversé la forêt et s'était dirigé vers les montagnes. Forcément, les propos d'Owen lui étaient montés à la tête. Il ne pouvait que songer au fait que les Milford avaient pu tomber entre les griffes de Dean Appers. Il cherchait un indice, n'importe quoi, sans succès... Ce fut au cours de ses (vaines) recherches qu'un craquement de branches le surprit. Heureusement pour lui, la personne qui venait de le surprendre était en fait une figure amie.

-Oh, Joachin...

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J

oachin afficha une surprise sincère en voyant son interlocuteur, ce qui était parfaitement normal. La forêt était vaste, les chances pour eux de se rencontrer étaient tout de même très faibles. Sans compter que si Joachin passait le plus clair de son temps dans ces bois (encore que ses habitudes avaient un peu évolué récemment, mais le fé n'en avait pas la moindre idée), ce n'était pas le cas Cael, qui d'ordinaire, n'abandonnait les frontières du village qu'en cas d'extrême nécessité, puisqu'il ne savait que trop la dangerosité des lieux qui environnaient les habitations. Extrême nécessité, oui... et en l'occurrence, la disparition des recluses, de la mère de sa fille, constituait un cas d'urgence réel qu'il ne pouvait clairement pas ignorer. Oui, Joachin avait toutes les raisons de s'étonner de la situation, donc, et il ne manqua pas de le lui faire remarquer, en insistant également sur l'heure tardive. C'est vrai, la nuit était tombée depuis un moment, déjà. Cael ne savait pas vraiment depuis combien de temps. Il n'avait pas franchement prêté attention au temps qu'il avait passé à fouiner autour des grottes à la recherche du moindre indice. Tout ce qu'il savait, c'était que ses efforts étaient infructueux, et il commençait vraiment à craindre pour Arseliann, et donc par conséquent pour Zoile... Il n'avait aucune envie d'annoncer à sa fille que sa mère avait disparu, et qu'on ne trouvait de traces d'elle nulle part. Cael hésita quant à la réponse à donner à son ami, il n'avait pas forcément envie de l'inquiéter, mais d'un autre côté, il était totalement démuni face à la situation, et peut-être que Joachin pourrait l'aider. Sans vraiment y mettre les formes, il lui expliqua donc les raisons de sa présence, non sans avoir pris avant cela une grande inspiration au préalable.

-La mère de Zoile a disparu, toute sa famille a disparu... Et il était par conséquent évident qu'il remuait à présent notre terre pour les retrouver. Une chose que Joachin pourrait certainement comprendre, puisque lui-même avait subi la disparition de sa fille et l'avait également cherchée partout sans la retrouver avant qu'elle ne refasse finalement surface. Je sais qu'il y a un sorcier qui vit par ici, un amateur d'expérience suspectes qui aurait déjà enlevé plusieurs créatures... C'est la dernière piste que je peux suivre, j'ai épuisé toutes les autres.

Voilà qui était dit. À croire que les deux amis ne pouvaient plus se croiser et partager seulement une conversation agréable et innocente, pas après toutes ces années d'absence de la part du buveur de sang (parce qu'il en était un, justement), alors qu'ils s'étaient empêtrés l'un comme l'autre dans des problèmes qui les dépassaient de très très loin. Cael aurait vraiment préféré apprendre de bonnes nouvelles à Joachin et pouvoir lui répondre qu'il se con tentait de se promener en forêt sans raison. Mauvaise pioche.

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C

ael savait Joachin sincère quand il affirmait qu'il était désolé. Et pour cause, lui aussi était passé par là, comme il ne manqua pas de le lui rappeler, quand sa fille était portée disparue. Bon, le cas de Cael était encore différent. C'était sans doute cruel, mais le fé se sentait rassuré que Zoile se soit trouvée chez lui au moment où il était arrivé... ce qui était arrivé aux recluses. La situation aurait été mille fois pire s'il s'était retrouvé devant la porte des Milford et avait constaté de cette manière qu'elles avaient toute disparu, sa fille y compris. Mais cela n'ôtait rien au fait qu'il tenait à retrouver ne serait-ce qu'Arseliann, en grande partie parce qu'il ne se voyait pas avouer à sa fille qu'elle ne reverrait jamais sa mère. Malheureusement, les propos du buveur de sang n'avaient rien de bien engageant pour lui. Lui aussi avait cherché du côté des grottes, sans doute parce qu'il avait eu vent des mêmes "rumeurs" que lui, rumeurs dont le fé ne pouvait pas franchement douter étant donné ce qu'il avait appris d'Owen, et il n'avait rien trouvé. Bien sûr, au final, Jane s'en était tirée à bon compte, et peut-être qu'Arseliann et ses aînées reviendraient elle aussi, à un moment ou à un autre, comme si de rien n'était, mais Cael n'y croyait pas vraiment. Et il avait envie de penser, tout de même, que si la mère de Zoile avait eu la moindre idée du danger qu'elle encourait, quel qu'il soit, si elle avait su l'éventualité de sa disparition, elle lui aurait laissé un signe, n'importe lequel, pas forcément pour lui-même, mais au moins pour sa fille. Cael, dépité, fit non de la tête quand son interlocuteur lui demanda s'il avait la moindre idée de ce qui s'était passé. Si seulement... mais non, ce n'était pas le cas, il n'avait pas le commencement du début d'une piste, aussi maigre puisse-t-elle être.

-Quand Arseliann m'a demandé de garder Zoile, elle m'a semblé un peu étrange, elle n'a pas su me dire quand elle viendrait la récupérer, mais je ne me suis pas posé plus de questions que ça... Et pour cause, ce n'était pas nouveau, les recluses étaient des plus étranges, et Cael s'était dit que la jeune sorcière avait peut-être encore souffert d'un conflit d'intérêt générationnel avec le reste de sa famille, dont elle avait choisi d'épargner sa fille, et qui les concernait sans doute. Et puis, il avait été trop heureux de pouvoir passer du temps avec Zoile, lui qui la voyait trop peu, et qui ne savait jamais, d'une fois sur l'autre, combien de temps cela durerait. Il songeait à présent que s'il s'était montré plus curieux, plus insistant, il aurait peut-être pu faire quelque chose. J'aurais dû, ajouta-t-il, les yeux baissés.

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on bien sûr, Cael ne pouvait pas savoir, mais on pourrait bien lui répéter cela encore et encore, ce n’est pas pour autant qu’il se sentirait mieux, plus apaisé ou quoi que ce soit, il avait tout de même le sentiment qu’il aurait dû faire quelque chose, demander à Arseliann ce qui se passait, chercher des informations, tenter de la faire parler, même si elle y aurait sans doute opposé une certaine résistance. Il aurait dû insister encore, l’interroger davantage… Certes, au moins Zoile était en sécurité, mais comment annoncer à sa fille que sa mère ainsi que le reste de sa famille avait disparu ? Ils s’entendaient de mieux en mieux, tous les deux, mais il restait quand même ce type qui avait débarqué très tardivement dans sa vie alors que Zoile n’avait jamais éprouvé la nécessité d’avoir un père (quand lui-même avait toujours, par contre, éprouvé la nécessité d’avoir un enfant). C’était auprès des recluses que Zoile avait ses habitudes et s’épanouissait sans doute le mieux. Le fé, bien sûr, essayait de ne pas trop décontenancer la petite mais il essayait aussi de l’élever à sa manière, et il n’était pas sûr d’y arriver seul. Il esquissa un fin sourire alors que Joachin avait prononcé quelques mots rassurants avant de déposer une main sur son épaule. Pouvoir lui en parler, même s’il ne pensait pas que le buveur de sang puisse faire grand-chose pour lui, lui faisait du bien. Et puis, Cael savait que Joachin pouvait le comprendre. Outre le fait qu’ils savaient tous les deux ce que cela fait d’être père, Cael avait été là quand Jane avait disparu, il savait donc que son ami avait parfaitement conscience de l’urgence de la situation et qu’il ne prendrait pas les choses à la légère. La preuve : Joachin lui proposa son aide, et Cael était loin de vouloir refuser cette main tendue, bien au contraire. Il se sentait très seul pour le moment, et il avait grand besoin d’aide, celle de Joachin serait clairement la bienvenue, d’autant qu’il avait accès à des milieux que Cael, lui ne fréquentait pas… Le cercle des vampires, donc, puisque c’est auprès d’eux que le buveur de sang proposa de se renseigner. S’il était peu plaisant pour le fé d’accepter l’idée que les recluses aient bel et bien eu affaire à l’un d’eux. Car elle doutait qu’elles en soient sorties vivantes dans ce cas, il ne fallait négliger aucune piste. Cael hocha donc la tête en signe d’approbation.

-Merci, ça m’aiderait beaucoup. Il marqua une pause, hésita un peu puis se jeta à l’eau. Tu as su ce qui était arrivé à Jane, finalement ?

La fille de Joachin appartenait à cette rare catégorie de personnes que l’on avait retrouvées après leur disparition. Cael avait su qu’elle était de retour et avait été doublement (voire triplement) soulagé pour les Hardwick. Mais il n’en avait pas su beaucoup plus. Le hasard ne frappe jamais deux fois à la même porte, c’est vrai, mais Cael avait besoin de croire encore. Alors il ne lui restait que ça.

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L

a réponse de Joachin concernant la disparition de Jane n'eut rien de surprenant au fond. S'il fallait faire un classement des menaces les plus importantes que les créatures rencontraient, la famille Hellsing arrivait très clairement en première position, et le fé était très bien placé pour le savoir... Mais si Joshua n'avait pas eu la chance de s'en tirer, lui, la fille du buveur de sang s'en était sortie indemne. Par quel miracle ? Cael se doutait que Joachin lui-même n'en avait pas la moindre idée... Ce n'était pas forcément bon signe pour les recluses au passage. Si Arseliann et le reste des Milford étaient tombées entre les mains de la famille de chasseur, il y avait peu de chances qu'elles soient encore en vie. C'était une piste qu'il avait préféré écarter, pas par conviction, mais parce que s'il en tenait compte, autant abandonner les recherches tout de suite, Zoile ne reverrait jamais sa mère... Mais au fond, quelle que puisse être la vérité, il restait très probable que Zoile ne revoie effectivement jamais sa mère. C'était injuste, mais c'était ainsi, malheureusement... Mais il n'était pas encore temps de se résigner.

-Je commence à me dire qu'il faudrait agir contre eux, constata Cael dans un soupir...

Non pas qu'il ait un jour pensé qu'il fallait les laisser faire, mais il avait l'impression que c'était de pire en pire. Il était d'un naturel pacifique, ce n'était pas pour rien qu'il avait tant de mal à accepter les idées radicales d'Arthur Lowell, dans lesquelles il entraînait Owen, qui plus est. Mais tout ce sang versé, tout ce mal répandu, la mémoire de Joshua jamais vengée... Forcément, tout ça ne manquait pas de le travailler par instants... Et c'était pire encore depuis que Penny s'était amourachée de l'un d'entre eux et portait même son enfant. De lui-même, il ne serait jamais capable de s'en prendre aux chasseurs (il ne gagnerait pas dans tous les cas), mais ce règne de la terreur ne durait décidément que trop. Ils agissaient en toute impunité parce que les créatures avaient peur (et Cael ne faisait pas exception, d'ailleurs), mais trop c'est trop. Combien de temps cela allait-il encore durer ? Combien de morts ? Combien de blessés ? Combien de disparus.

-Enfin, si c'est eux qui s'en sont pris à Arseliann, elle est déjà morte...

Ce n'est pas qu'il voulait se montrer défaitiste, mais au moins un peu réaliste, et forcément, il ne pouvait s'empêcher d'y penser... Chercher, encore et encore, c'était un peu se voiler la face. Jane était revenue d'où on ne revient pas, mais s'il pouvait y avoir des exceptions, elles n'étaient pas la norme, et Cael savait qu'il ne devait pas se faire trop d'idées. Les idées, dans ce contexte, étaient forcément dangereuses.

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ui, le mieux était sans doute de ne pas perdre espoir, mais si Cael savait se montrer optimiste par instants, il n’oubliait pas d’être réaliste quoi qu’il en soit, et il savait bien, par conséquent, que plus les jours passaient, plus les risques de ne jamais la revoir étaient élevés, et Zoile, elle, allait peut-être devoir se résigner à grandir sans sa mère et sans le reste de sa famille, cette famille auprès de laquelle elle avait grandi, pour rester avec lui, qui devait encore être une sorte d’inconnu à ses yeux. Garder espoir, c’était une chose, mais il ne se voyait pas alimenter sans cesse l’esprit de sa fille de la pensée qu’elle allait, à un moment ou à un autre, retrouver Arseliann. Si cela devait ne jamais arriver, il est sûr et certain qu’elle aurait été dévastée. Il allait falloir qu’il trouve les mots pour lui parler, et à ce sujet, il était encore loin de savoir complètement comment s’y prendre avec elle, surtout dans une situation si délicate. Il devait encore y réfléchir, mais il préférait être encouragé que de se laisser abattre, et en ce sens, parler avec Joachin lui faisait vraiment le plus grand bien. Il ne devrait peut-être pas se laisser bercer d’illusions, mais s’il baissait les bras maintenant, il passerait peut-être à côté de l’occasion de retrouver Arseliann. Joachin n’avait pas tort, après tout… Il avait bien cru qu’il ne reverrait jamais son ami, qu’il était pati pour de bon, et pourtant, il était là, face à lui, présent pour le soutenir et l’encourager, des années après avoir disparu de sa vie.

-Tu as raison, répondit-il en hochant la tête, tentant de retrouver un peu de contenance et d’espoir. Temporairement, ça fonctionnait bel et bien. Pour combien de temps, par contre, ça restait très clairement à déterminer. En attendant, il était un peu reboosté, et ce n’était pas un mal du tout, bien au contraire, même. Il poussa un léger soupir. Je pense que ça ne sert à rien que je poursuive encore mes recherches cette nuit. Il chercherait, tâtonnerait, ça ne le mènerait nulle pas et le frustrerait complètement. Il valait mieux qu’il se repose sur ses réflexions et qu’il y revienne quand il saurait poser un regard neuf sur ses recherches. Et puis, la nourrice de Zoile serait certainement ravie de pouvoir prendre congé et de rentrer chez elle. Je vais rentrer chez moi. Il hésita avant de reprendre la parole. Tu restes ici ?

Sans doute, s’il était là, c’est qu’il se livrait sans doute à des occupations liées à sa nature, et il valait certainement mieux que Cael en sache le moins possible à ce sujet. Mais s’il avait le temps ou l’occasion de prendre un verre avec lui chez lui, ce serait avec plaisir, ce serait l’occasion de parler tous les deux ans un décor et dans un contexte beaucoup moins… hostiles. Mais si Joachin ne pouvait pas l’accompagner, ce ne serait que partie remise, après tout.

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