Tout conseil serait le bienvenu [pv Jonathan]

J

onathan n'avait pas tort, bien évidemment. Ils n'avaient pas le même âge, et clairement, dans des situations telles que les leurs, cela jouait. Encore maintenant, elle et Edward n'étaient pas bien jeunes, et cela se ressentait, que ce soit dans leurs choix, dans leur comportement ou dans leurs caractères... Et encore, même s'ils avaient encore beaucoup de chemin à faire, n'importe qui les connaissant de longue date devait admettre qu'ils avaient sérieusement mûri depuis les débuts parfaitement houleux de leur relation... Pour peu qu'on sache vraiment donner un début à cette relation, d'ailleurs.

Est-ce qu'il fallait déterminer le point de départ au moment où ils étaient devenus des myrihandes ? Ou au moment où ils avaient eu conscience de l'existence l'un de l'autre ? Parce que dans ce dernier cas, leur histoire durait depuis toujours, et depuis toujours; elle n'avait absolument rien de glorieuse. Ils s'étaient détesté (ou avaient prétendu se détester) avant de s'aimer pendant si longtemps qu'on ne pouvait pas franchement dire qu'ils partaient sur les meilleures bases possibles. La faute, là encore, à leur immaturité crasse.

C'était quelque part rassurant de se dire qu'ils n'avaient pas encore fini de devenir des adultes, et qu'une marge d'amélioration était toujours possible... Même si Jane avait souvent le sentiment d'être bien plus âgée de son âge, pas du fait de son sens des responsabilités ou de son sérieux qui étaient difficiles à trouver chez elle, mais du fait de toutes les épreuves qu'elle avait déjà traversées.

Toutes les relations étaient différentes et uniques, bien sûr, et il était préférable d'ailleurs qu'aucune autre relation ne ressemble à celle des myrihandes du feu... mais tout de même, quand bien même ils étaient évidemment différents, ils partageaient tout de même des circonstances et des caractéristiques communes. Ce n'était pas rien que d'être si intimement et violemment lié à une autre personne. Et cela, seuls des myrihandes pouvaient le comprendre et le reconnaître.

-On verra bien, répondit Jane, pas par défaitisme mais par prudence, même si elle voudrait bien être capable de prouver au monde entier que oui, justement, ils en étaient capables. Mais c'était déjà l'un à l'autre qu'ils devaient se le prouver, et ce n'était pas encore gagné, loin de là. Si déjà tu commences à éventuellement y croire, c'est qu'on a fait un minimum de progrès.

code by Mandy

J

ane pouffa légèrement à la remarque de son interlocuteur, et le simple fait qu'elle soit capable de prendre sa remarque avec le sourire marquait un point pour Jonathan. Il n'y a pas si longtemps, s'il lui avait fait une remarque du genre, elle aurait immédiatement pris la mouche et répliqué que ce n'était pas parce qu'il était infichu de la considérer comme une adulte qu'elle n'était pas capable d'agir comme tel. C'était un des luxes de la maturité que de pouvoir considérer son comportement passé avec la distance nécessaire pour admettre sa puérilité d'avant.

Bon, dans le cas de Jane (et d'Edward, par la même occasion), il y avait quand même du chemin à parcourir. Ni l'un ni l'autre n'avaient jamais été capables de pondération ou de réelle sagesse. Ils faisaient ce qu'ils pouvaient avec ce qu'ils avaient, mais ils gardaient quand même au bout du compte un fichu tempérament qui ne les quittait jamais entièrement. En même temps, ils étaient encore très jeunes, du haut de leurs vingt ans, et ils étaient devenus des myrihandes bien plus jeunes encore. Cela n'excusait pas tout, mais du haut de leurs trente-six ans, il était tout de même logique qu'Iris et Jonathan aient toujours été incommodés par leur immaturité.

Mais l'air de rien, tout espoir n'était jamais perdu, pour personne. Et en l'occurrence, le couple progressait. A son rythme c'est vrai, au prix d'épreuves qui paraissaient parfois insurmontables, mais ils grandissaient. Et justement, même si ça devait être difficile à s'imaginer, c'était la présence de l'âme soeur de l'autre qui les aidait à s'élever. Pour le nombre de fois où Jane s'était imaginée qu'Edward la tirait vers le bas, elle savait à présent que c'était faux... même s'il fallait quand même passer sous silence quelques débordements particulièrment inadmissibles.

-T'habitue pas trop, une chance pour toi, ça arrivera pas si souvent, plaisanta-t-elle tout en espérant évidemment l'inverse. C'est plus facile de se comporter en adulte quand les gens autour de soi arrêtent de vous considérer comme des gamins, tu sais ? ajouta-t-elle toujours souriante, bien décidée à ne pas prendre inutilement ombrage d'une réflexion qui se justifiait très largement.

code by Mandy

O

ui, bon, d'accord, elle avait compris, elle se comportait souvent comme une gamine, et parce que c'était le cas, elle avait tendance à vouloir se vexer et à se montrer encore plus gamine quand Jonathan le lui répétait. Mais bon, elle s'était suffisamment vexée pour une conversation, donc elle allait prendre pour elle, même si ça lui donnait le sentiment de jouer le jeu de la maturité, comme si sa seule personnalité ne pouvait suffire, comme s'il fallait absolument changer sa personnalité et racler le fond de son caractère pour trouver quelque chose à y garder. Pourtant, elle pensait quand même avoir changé... Enfin bon, ça tournerait en boucle si elle revenait là-dessus. Elle avait bien compris qu'il faudrait encore du temps pour que Jonathan la voie comme une adulte et une égale... eh bien soit. Elle ne pouvait pas lui reprocher de pointer du doigt les faits... même si à certains moments, elle avait quand même le sentiment d'être traitée gratuitement de gamine sans avoir rien fait de particulier pour ça. Mais ça, c'était sans doute parce qu'elle n'avait pas suffisamment de distance sur elle-même.

-Oui enfin, j'ai que vingt ans en même temps, si je suis pas encore un peu immature et irresponsable maintenant, quand est-ce que je pourrais encore l'être ? remarqua-t-elle avec un sourire pour que son propos soit bien interprété comme une plaisanterie de plus.

Même s'il y avait de la vérité là-derrière tout de même. A vingt ans, on était généralement loin d'être un adulte mature et responsable. Après, on ne pouvait pas exiger d'elle la même chose qu'aux autres, pare que ce par quoi elle était passé, les jeunes adultes de vingt ans n'y avaient pas droit en temps normal. Elle avait grandi très vite sur des sujets auxquels elle avait été confrontée trop tôt, et pour d'autres, eh bien... elle avait toujours une intelligence émotionnelle au ras des pâquerettes, et ce n'était pas faute de se remettre en question constamment, pourtant. Il ne s'écoulait pas un jour sans qu'elle reconsidère la moindre de ses paroles, le moindre de ses agissements. Oui, c'était ça, elle était du genre à agir avant de réfléchir. Mais ensuite, qu'est-ce qu'elle réfléchissait, après ! Pas que ce soit forcément des réflexions intelligentes non plus, évidemment, mais en tout cas, dans sa tête, ça moulinait clairement à n'en plus finir, et c'était insupportable.

code by Mandy

J

ane grimaça en entendant la réponse de Jonathan. Elle décidait de penser que sa remarque était en soi affectueuse, et elle aimait qu'il la considère comme une petite soeur, vu qu'elle-même le considérait comme un grand frère, mais elle apprécierait aussi qu'il la respecte autant qu'elle le respectait, et elle n'était pas toujours sûre que c'était le cas. Elle voulait bien, elle avait ses défauts manifestes, et sur certains aspects, elle manquait singulièrement de maturité, mais c'en arrivait parfois au point que Jane se demandait quand même pourquoi Jonathan perdait son temps avec elle.

Il devait apprécier de se savoir supérieur en elle : en âge comme en accomplissement. Mais elle voudrait aussi qu'ils sachent se considérer comme des égaux, ce qu'elle estimait qu'ils étaient à la base : égaux dans leur ressenti d'une situation similaire que personne d'autre ne pouvait véritablement comprendre : dans sa position de myrihande. Mais soit, elle allait donc se concentrer sur le positif... Le "petite soeur", et elle allait faire abstraction des mots "mioche" et "insupportable"... ou peut-être pas du mot "mioche, en fait.

-Je pense que ça aiderait si tu ne me considérais pas comme une mioche. Il y a un entre-deux entre gamine de dix ans et adulte de trente piges. Est-ce que tu peux juste... me considérer dans cet entre-deux là ? suggéra-t-elle avec un sourire complice.

Auquel elle estimait vraiment appartenir ? La vie lui en mettait plein la tronche et elle en tirait son parti, elle s'appliquait à gagner en patience, en tolérance, en dignité. Elle avait toujours son tempérament sanguin, susceptible, un peu trop passionné, mais elle évoluait, quand même. Et au final, elle ne pensait pas être beaucoup plus immature que d'autres jeunes de son âge. Surtout dans certains domaines, où elle en avait vécu plus que ce qu'on devrait attendre de quelqu'un de son âge.

Elle savait qu'elle avait des progrès à faire, et qu'elle ne devait pas attendre une récompense ou un bon point chaque fois que son comportement s'améliorait. Mais d'une personne qu'elle estimait, elle espérait finir par obtenir de l'estime en retour. Est-ce que ça arriverait ? Elle n'en savait rien. Mais il y avait des choses qu'il valait mieux dire tout de suite malgré tout... preuve qu'elle évoluait. Avant, elle aurait juste tout gardé pour elle et attendu que ça explose. Ce n'était plus le cas, maintenant.

code by Mandy

J

ane esquissa un fin sourire quand Jonathan lui affirma qu'il devrait réussir à accepter qu'elle se situait bel et bien dans cette période qui succédait à l'adolescence mais qui n'était pas encore l'âge adulte - ou du moins un semblant d'âge adulte, mais durant lequel l'immaturité avait encore toute sa place. Elle espérait bien que ce puisse être le cas, en effet, car même si elle renonçait à être traitée sur un pied d'égalité avec son interlocuteur, elle apprécierait d'obtenir de sa part ne serait-ce qu'un semblant d'estime, qui serait au-delà de bienvenu. Elle s'était rapproché de lui parce qu'elle estimait qu'ils étaient dans la même situation tous les deux. Alors à chaque fois qu'elle se sentait rabaissée et infantilisée, elle dont l'ego était démesuré, ce n'était pas facile à vivre.

-A quel moment j'ai dit que c'était être vieux d'avoir trente ans, demanda Jane avec malice.

Elle n'avait absolument pas dit cela, et d'ailleurs, elle ne le pensait pas du tout. Elle considérait, bien au contraire, que trente ans était un plutôt bel âge, si ce n'est le meilleur âge d'ailleurs. Elle-même mettait à peine un pied dans la vingtaine qu'elle était déjà impatiente d'en sortir, justement parce que cet entre-deux n'était pas franchement plaisant et agréable, elle aimerait dépasser le stade de se trouver un peu trop inadaptée au monde des adultes.

-J'ai dit "adulte", pas "vieux", si t'as entendu ça, soit t'es vraiment vieux et t'as besoin d'investir dans un appareil auditif, soit c'est toi qui n'est pas à l'aise avec ton âge, reprit-elle, à nouveau pour le chambrer, et sans être sérieux ne serait-ce qu'un instant.

Bien sûr que non, il ne devait pas se trouver vieux, et elle non plus n'estimait pas qu'il le soit. Elle, en revanche, était encore bien jeune mais voulait qu'on l'encourage à gagner en maturité, et pour cela, même si elle avait clairement besoin qu'on la bouscule de temps à autre, il fallait aussi qu'on soit capable de lui accorder le bénéfice du doute par moments, sans immédiatement partir du principe qu'elle n'était bonne qu'à s'enfoncer davantage dans la gaminerie.

code by Mandy

C'

était assez facile, au fond, de piquer Jonathan. Certes, Jane était la première à prendre la mouche quand on lui faisait une réflexion, et ce même quand cette réflexion n'avait absolument pas vocation à la faire sortir de ses gonds, à l'humilier et l'embarrasser, mais elle remarquait quand même que son interlocuteur se justifiait beaucoup pour une remarque qui ne le concernait pas vraiment. Le pire, c'est que c'était vrai. Quand elle avait dit "adulte", elle n'avait pas pensé "vieux", elle avait pensé... ben, "adulte". C'est sûr, la trentaine, presque la quarantaine, même, ça lui paraissait une perspective très lointaine, et il y avait un évident écart générationnel entre eux deux, mais elle n'avait pas cherché à lui faire un reproche, même implicite. Il faut dire qu'elle avait été trop occupée à parler d'elle-même pour ça.

Enfin, tant mieux pour Jonathan, évidemment, s'il était à l'aise avec son âge, et d'ailleurs, c'était une chose dont Jane n'avait pas spécialement douté. C'étaient le genre de choses qui se voyaient facilement, à côté desquelles on ne pouvait pas passer. Les personnes qui n'étaient pas confortables avec leur corps ou leur apparence avaient des réflexes et des attitudes qui ne trompaient pas. Tenez, Jane, par exemple, elle se trouvait laide approximativement tout le temps ou presque, eh bien c'était une insécurité qui ne passait pas inaperçu.

Pour ce qui était de ne pas vouloir revenir à l'âge qu'avec Jane, cette dernière le croyait sans mal également. Tout le monde portait aux nues la vingtaine comme un âge idyllique, mais Jane, elle, avancerait bien le temps de quelques années. D'ici là, elle se sentirait peut-être plus confortable au sein du monde des adultes (des adultes, pas des vieux) et plus à même de tracer sa route tranquillement sans se laisser freiner par des dizaines et des dizaines d'incertitudes, encore trop influencée par l'opinion de ses aînés, justement, parce que ses aînés ne l'étaient pas eux-mêmes.

-Bah, répondit Jane en haussant les épaules. Tu me connais, je monte vite dans les tours, mais je redescends aussi vite.

Non, ça, ce n'était pas complètement vrai, par contre. Oui, ça l'était avec certains, les personnes qu'elle appréciait sincèrement et dont l'opinion comptait pour elle (et Jonathan en faisait évidemment partie), mais avec d'autres, elle avait la rancune tenace, et bien souvent pour trois fois rien. Elle eut le réflexe de jeter un oeil à sa montre, constata que le temps avait filé.

-Houla, déjà cette heure-ci. Je crois bien qu'il vaut mieux que je file. Elle lui adressa un sourire. Merci, c'était sympa. Tout compte fait, ajouta-t-elle pour le plaisir d'ajouter une dernière petite pique qui n'était pas pensée.

code by Mandy